Manifeste

Comme le livre, le cinéma ou toute forme de création instrumentée, le jeu vidéo est une affaire de technologie. Candy Crush est un jeu vidéo au même titre que Tetris ou que The Last of Us. Tous ces titres sont des programmes codés qui articulent un ensemble d’éléments graphiques et sonores dans un univers régi par un ensemble de règles avec lesquelles il est nécessaire d’interagir pour jouer. Bien qu’il soit possible de réduire à sa simple définition technologique le jeu vidéo, nous préférons le considérer avant tout comme une grammaire de création. Et c’est à travers ce prisme que nous souhaitons envisager sa compréhension et son analyse.

Depuis l’apparition du jeu vidéo, de nombreux créateurs, qu’ils soient indépendants ou issus de grands studios, s’approprient ce médium pour proposer des œuvres radicales ou subversives. Des œuvres qui ne se contentent pas simplement de proposer de bonnes expériences de gameplay mais qui offrent avant tout d’incroyables expériences cognitives. Aujourd’hui, avec des ordinateurs permettant des calculs de plus en plus rapides, nous assistons à un accroissement à priori infini de l’amplitude créative offerte aux artistes, programmeurs et concepteurs. Et depuis quelques années, grâce à la démocratisation des outils de création et à la dématérialisation de la distribution, ce type de production a vu son nombre exploser.

Dans ce contexte, il semble aujourd’hui essentiel de proposer un nouvel espace de réflexion et d’interprétation de la création vidéoludique. Un espace qui permette de s’immerger dans la dimension artistique, philosophique et intellectuelle du jeu vidéo pour la comprendre et se l’approprier. Un espace où le commentaire du jeu serait produit par des écrivains, des cinéastes, des artistes ou des universitaires, qui proposeraient à chaque fois une lecture du jeu à la fois singulière et pertinente.

C’est avec cette envie que nous est venue l’idée d’une revue semestrielle, car détachée de l’actualité, naviguant parmi les œuvres de ces trente dernières années et surtout, sur format papier, car nous la voulons ancrée dans un réel tangible: un support physique, avec des pages pouvant être soulignées, découpées, archivées. Une revue qui s’éloignerait du traitement habituel de la presse vidéo ludique pour proposer un véritable espace d’analyse et de commentaire au contenu qualitatif, destiné à un public curieux et exigeant. Un contenu déployé dans une maquette soignée et inventive, imprimée sur un papier de qualité, l’ensemble des textes étant accompagné d’une iconographie riche et originale proposant autant de lectures de l’imagerie du jeu vidéo et de ses particularités en qualité de médium interactif. Dans Immersion, chaque jeu que nous déciderons de penser sera abordé selon un axe unique. Un espace où il serait possible d’étudier en détail les animations de Dark Souls 3, de questionner la subjectivité dans l’exercice du jeu dans The Phantom Pain, ou de lire une étude poussée sur l’évolution des interfaces graphiques dans les third-person shooters. Ici, aucune grille d’analyse systématique mais plutôt une volonté de faire émerger de chacune des œuvres sa particularité, son articulation propre, et ainsi d’offrir autant d’axes de commentaires que de jeux, en se focalisant sur les détails, sur les dynamiques qui leur sont propres.

Immersion abordera évidemment le jeu video à travers ses créateurs, avec des dossiers, des articles et des interviews de game designers, d’auteurs, de techniciens et d’artistes. Nous voulons également élargir le champ de réflexion et ainsi tisser des liens avec différents champs artistiques et scientifiques, via des articles sociologiques ou philosophiques et des interviews d’acteurs de la vie culturelle, dans le but de montrer l’impact que le jeu peut avoir sur la société et sur les hommes. Avec Immersion, nous avons pour ambition d’accompagner joueurs, concepteurs, chercheurs, étudiants, artistes ou simples curieux dans leur compréhension d’un pan entier de la création contemporaine. Avec pour objectif de toucher un public souhaitant comprendre ce médium, qu’il soit joueur ou non.

Mohamed Megdoul (Décembre 2017)