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Tom Avatars. Crédit : Tom Avatars.
A la fois album d’électro et jeu vidéo trippant, « Square Paper City » est le dernier projet de l’artiste et game designer Tom Avatars.
Le jeu est une expérience immersive où le joueur est amené à interagir directement avec la musique en se déplaçant dans un monde évolutif et psychédélique. Retour en interview sur le parcours de son créateur et sur ses ambitions.
IMMERSION : Pourrais-tu revenir rapidement sur ton parcours, je crois que tu as commencé en tant qu’ingénieur son et musicien avant de te diriger vers le game design ?
Je suis un autodidacte complet. Après le baccalauréat, j’ai entamé un semblant d’études en art, mais j’étais plus occupé à profiter de la vie et à produire du son dans ma chambre. C’est à cette époque que je me suis mis à faire du live avec des machines comme la MPC 2000 et d’autres samplers. Dès 2006 j’ai commencé à me déguiser pour faire de la scène et j’ai inventé différents avatars incarnant divers genres de musiques électroniques. Puis je me suis rendu compte qu’il était difficile pour moi de vivre de ça au vu du peu de compromis que j’étais prêt à faire au sein du marché de la musique, et je me suis donc orienté vers le sound design et la composition musicale pour jeux vidéo.
J’ai commencé à participer à des game jams et à accompagner des étudiants dans leur projets d’études. En 2017, avec deux amis, on a créé le studio Concrete Games pour la sortie d’Hyperun, un jeu de course orienté arcade. En parallèle, j’ai appris à utiliser les technologies audio propres aux jeux vidéo et à me servir du moteur Unreal, notamment parce que je m’étais engagé à développer un jeu pour le compte de la galerie d’art contemporain la Criée, à Rennes, en collaboration avec l’artiste Mioshe. Depuis, j’ai eu plusieurs occasions de développer des jeux de commande pour le milieu de l’art contemporain.
Tu as déjà plusieurs jeux à ton actif, et notamment Matter et Janga qui sont disponibles sur Steam. Tous semblent avoir en commun une approche très organique du jeu vidéo. Est-ce que tu as une approche particulière du game design ?
Au lycée, même si j’étais un élève dissipé, j’étais passionné par mes cours d’arts plastique. J’aimais beaucoup la dimension conceptuelle, particulièrement celle des Surréalistes. J’avais aussi une passion pour les représentations de la chair et les artistes écorchés comme Francis Bacon, Egon Schiele, puis Van Gogh et Turner pour la lumière ainsi que les Impressionnistes. Plus tard, Matthew Barney m’a fait un effet dingue. Tout cela m’a amené à avoir un bagage que je conserve comme un héritage et qui se manifeste assez naturellement dans ce que je fais.
Concernant le game design, si je dois parler d’une approche en particulier, je pense que c’est davantage de la sérendipité qu’autre chose. Je découvre et apprend en permanence des technologies, en partant du code jusqu’aux shaders. Au regard de ce que j’essaye, je soumets la technique et le design aux multiples accidents que je rencontre. C’est très excitant comme démarche de travail, parce que je ne m’ennuie jamais et je fais toujours des trouvailles qui amènent généralement des éléments critiques dans mes jeux.
En 2019, nous t’avions invité à la Fondation Cartier pour parler d’Yvain, un jeu créé en collaboration avec l’artiste Eric Giraudet. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce genre d’échanges avec le monde de l’art contemporain ?
Travailler avec des artistes contemporains, c’est surtout l’occasion pour moi de me faire secouer, de sortir de ma focalisation actuelle, grâce à des personnes qui sont des néophytes au regard du monde du jeu vidéo, au niveau de la création et de la technique. Ça libère ma créativité. En réalité, j’ai toujours été attiré par le game design alternatif. Je suis particulièrement agacé de voir autant de récurrences dans le monde du jeu vidéo, que ça soit au niveau des genres ou des mécaniques. Avoir l’opportunité de participer à des projets artistiques ou transdisciplinaires est pour moi un encouragement dans cette voie. C’est précieux et je me sens extrêmement redevable envers des institutions comme la Criée et des associations comme 3 Hit Combo, qui me proposent ces travaux.
Parlons de ton nouveau projet, Square Paper City. Il s’agit à la fois d’un jeu vidéo et d’un album. Peux-tu nous expliquer la genèse de ce projet et les principes de son gameplay ?
Il y a exactement un an, je mettais les dernières touches à la démo de Janga, un jeu que nous avions débuté collectivement au sein de Concrete Games, et que j’ai dû terminer tout seul. En effet, début 2020, mon associé s’est mis en arrêt pour une période indéterminée. Dès lors, j’ai pris un temps pour réfléchir à ce que je pourrai faire à une échelle raisonnable pour une personne. Une de mes premières idées était de faire un jeu de rap procédural. Je m’étais fixé comme objectif de contacter Orelsan pour lui proposer mais j’ai lâché l’idée. Qui suis-je pour proposer ce genre de projet à un type qui a des millions de followers ?
Du coup, l’idée de clip interactif, voire d’album jouable, a fait son chemin. Le principe de Square Paper City n’est pas si évident à décrire sur le papier, malgré ce pitch qui me semble efficace : un album jouable en jeu vidéo. C’est une épopée linéaire à la première personne, dans un environnement très épuré en termes de couleur et de formes : je n’utilise que des cubes ainsi que des aplats autour des couleurs primaires, du noir et du blanc. A partir de ce principe, je fais des puzzles d’orientation dans l’espace où je joue avec les perceptions du joueur. A chaque niveau/morceau, j’utilise des techniques pour que le joueur interagisse avec la musique de manière dynamique. Ici, ce seront les inputs qui déclencheront des patterns rythmiques, là, ce sera la hauteur du personnage qui contrôlera la tonalité.
Quelles ont été tes influences, à la fois musicales, et en termes de jeu vidéo, pour concevoir Square Paper City ?
En termes de jeu vidéo, Rez est évidement une référence importante, surtout au regard de son traitement de la synesthésie. Récemment, j’ai adoré Sayonara Wild Hearts. Pour l’esthétique visuelle mais aussi le traitement audio, il faut chercher du côté d’Antichamber et de Manifold Garden. En termes de game design, il y a aussi un soupçon de The Beginner’s Guide et d’autres walking simulators. Pour la musique, c’est en partie un hommage à l’artiste Squarepusher, notamment à travers de la récurrence de l’utilisation de l’Amen Break, un sample de batterie que cet artiste utilise depuis toujours et qui est l’un des fondements de la jungle et de la drum and bass. Autrement, c’est aussi un album qui se veut être complètement éclectique, comme j’ai toujours fait, mais avec une très forte tendance pour l’IDM (Intelligent Dance Music). C’est quand même pas mal la teuf dans ce jeu ! Je suis aussi beaucoup influencé par les instruments virtuels que j’utilise, car je suis testeur et sound designer pour plusieurs sociétés de créations de plugins audios.
Square Paper City est un projet que tu mènes seul. Comment travailles-tu dans ces conditions, et avec quels types de revenus ?
Je galère pas mal. Surtout que depuis le début de la crise sanitaire, je travaille à la maison avec deux enfants en bas âge. Heureusement qu’il y a des personnes bienveillantes qui me proposent du travail, comme 3 Hit Combo, pour qui j’ai fait un jeu vidéo avec des étudiants d’une école d’horticulture cette année. Je donne aussi des cours dans une petite école de jeu vidéo, Activdesign Je prends ce qui se présente à moi, mais j’ai abandonné l’idée de chercher du travail par moi-même car mon profil d’autodidacte ne semble pas convenir. Je préfère tisser des liens pérennes avec des gens avec qui j’ai de vrais atomes crochus.
Le kickstarter de Square Paper City s’achèvera dans quelques jours. Comment vas-tu utiliser les fonds récoltés ?
Les fonds seront utilisés pour me faire vivre au quotidien jusqu’à la commercialisation du jeu début 2022, mais également pour acheter un peu de matériel et payer des services.
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