par Ulysse Mathieu
le 2 décembre 2021


Mabel Addis

par Ulysse Mathieu
le 2 décembre 2021


Image de couverture :
Enfant jouant à Hamurabi, 1968
Image de couverture :
Enfant jouant à Hamurabi, 1968

Se servir du jeu vidéo pour raconter une histoire. Un récit qui évolue en fonction du comportement du joueur, en réponse à ses entrées, à ses choix. Cette idée fondamentale qui semble presque aujourd’hui consubstantielle du médium, de Colossal Cave Adventure (1975) à Disco Elysium (2019), on la doit pour beaucoup à une institutrice née en 1912, Mabel Addis. En 1962, alors en poste dans une école de New York, Mabel Addis est choisie pour faire partie d’un programme, financé par IBM, dont l’objectif est de tester les possibilités de la simulation par ordinateur dans un but éducatif. Après trois ans de développement en collaboration avec William McKay, ingénieur chez IBM, en 1965, The Sumerian Game est présenté pour la première fois devant une classe de 6e. Le premier jeu narratif de l’histoire est né.

The Sumerian Game est un jeu de gestion qui vous place dans la peau de Luduga, souverain de Lagash, une cité de Mésopotamie, 3500 ans avant notre ère. Le joueur, interagissant avec la machine par le biais d’un clavier relié à une imprimante, doit d’abord répondre à une série de questions. Combien de grains de blé faut-il allouer à la population ? Combien faut-il en replanter ? Et quelles réserves conserver en cas de pépin ? Une fois le choix effectué, le jeu réagit en imprimant une réponse y correspondant. Après une dizaine de tours, le gameplay se complexifie en implémentant la possibilité d’améliorer ses rendements en ayant recours à l’artisanat, puis au commerce.

>>> Lire aussi : Future Reality Lab

Mais là où The Sumerian Game diffère des premiers essais de jeux de gestion, c’est qu’il y insère une dimension narrative. L’I.A. est personnifiée dans le rôle de votre conseiller, un rien persifleur quand il vous demande ses consignes. Des événements aléatoires, comme une armée de rats dévastant vos greniers, viennent bouleverser vos savants calculs. Et surtout, dans une mise à jour de 1966, Mabel Addis implémente à des moments clés du jeu, et notamment en introduction, des diaporamas synchronisés avec un enregistrement audio sur cassette qui se lancent automatiquement : les toutes premières cinématiques.

L’objectif de The Sumerian Game est éducatif : apprendre à des élèves des principes économiques basiques. Si sa diffusion est restée peu importante dans le grand public, le jeu a beaucoup contribué à développer la démocrati- sation des ordinateurs dans le monde éducatif états-unien, et plus important encore, a inspiré beaucoup de créateurs de ce qui n’était pas encore l’in- dustrie du jeu vidéo. En 1974, David H. Ahl publie 101 Basic Computers Games, un recueil de jeux édité par ses soins dans lequel on trouve un jeu largement inspiré de The Sumerian Game appelé Hamurabi. En 1980, porté par l’ex- plosion des micro-ordinateurs personnels, il devient le premier livre sur l’in- formatique à se vendre à plus d’un million d’exemplaires.

Désormais loin des projecteurs, Mabel Addis finit sa carrière d’enseignante à l’école Katonah de New York, ville où elle décède en 2004. Bien que méconnue, elle reste pour l’éternité la première femme à être créditée comme co-créatrice, level-designeuse et scénariste d’un jeu vidéo.

Ulysse Mathieu

Découvrez nos articles en ligne